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La « table des allergiques »

by Marie-Josée Bettez

Par Christophe Bettez-Théroux

Le District scolaire francophone Sud (DSFS) du Nouveau-Brunswick a adopté de nouvelles directives portant sur la gestion des allergies alimentaires dans ses écoles. La politique vise à protéger les élèves allergiques, ce qu’on ne peut qu’applaudir. Une des lignes directrices suscite cependant un certain émoi et a même retenu l’attention des médias traditionnels. Il s’agit de donner aux écoles la possibilité de réserver une table ou un espace dans leurs cafétérias pour les enfants allergiques.

Table réservée : une bonne idée ?

Il n’y a pas une façon unique de gérer les allergies alimentaires. Pour certains élèves allergiques, une table réservée pourrait peut-être constituer une initiative salutaire. Personnellement, j’ai quand même de grosses réserves.

Lorsque je fréquentais l’école primaire, j’étais allergique à une trentaine d’aliments. J’avais réagi plusieurs fois à des traces, parfois même de façon violente. En théorie, j’aurais été le candidat idéal pour « la table ».

Pourtant, j’ai toujours mangé avec les autres garçons de mon âge. Si mon école m’avait assigné une table séparée, je me serais senti brimé.

Pourquoi ? Deux raisons :

  1. J’aurais éprouvé un sentiment d’exclusion.
  2. Au primaire, en dépit de mes allergies, j’avais les mêmes besoins, sur le plan social, que les autres enfants de mon âge.

    Je faisais partie d’un cercle d’amis et j’aimais manger avec eux. Je les avais choisis parce que je les appréciais et que nous avions plein d’intérêts en commun. En revanche, je n’avais pas d’affinités particulières avec les autres élèves allergiques. Nous ne partagions qu’une condition médicale.

    Au dîner, mes amis et moi imaginions que nos boîtes à lunch étaient des châteaux sur les tourelles desquels veillaient des ustensiles-chevaliers en armures rutilantes, le regard tourné vers un lointain sachet de sel où vivait un sinistre dragon… Ces moments de jeux et de rires m’ont permis de développer un fort sentiment d’appartenance.

    Si j’avais mangé à une table isolée avec les autres élèves allergiques, je me serais naturellement senti exclu de la « gang ». Parce que, ne l’oublions pas, à l’école, une bonne partie de la socialisation se fait sur l’heure du midi ! J’aurais fait partie de la « table des allergiques » et c’est ainsi, je crois, que les autres enfants nous auraient perçus.

  3. Je ne me serais pas senti plus en sécurité.
  4. J’étais le seul, au sein de mon groupe, à avoir des allergies alimentaires. Mais mes amis étaient conscients des risques et faisaient attention. Ils prenaient des précautions pour éviter que leur nourriture n’entre en contact avec la mienne. Ma mère a même appris à mes copains les plus proches à utiliser l’auto-injecteur. Au sein de mon groupe, je me sentais en sécurité. Je n’ai d’ailleurs jamais eu de réaction allergique à l’école.

    Me serais-je senti mieux protégé au sein d’une table exclusivement composée d’élèves allergiques ? J’en doute. Nous n’aurions pas été allergiques aux mêmes aliments. Étant donné le nombre de mes allergies, je me serais forcément retrouvé en présence de mes allergènes à chaque repas.

    Que faire si un enfant allergique aux produits laitiers dont le dîner contient du soya côtoie un enfant allergique au soya dont le dîner contient des produits laitiers ? À moins qu’à la « table des allergiques », les élèves soient tenus de ne manger que ce qui est sécuritaire pour tout le monde ? Auquel cas, en voyant les nombreux aliments interdits sur ma liste, les parents des autres enfants allergiques m’auraient probablement détesté !

Éduquer et sensibiliser

Pour moi, la gestion des allergies alimentaires passe d’abord et avant tout par l’éducation et la sensibilisation. Je salue d’ailleurs le fait que le DSFS en fasse une priorité dans ses nouvelles directives.

Je l’ai mentionné plus haut : il se peut que, selon le contexte, certains enfants allergiques soient davantage en sécurité à une table réservée. Mais à mon avis, l’exclusion doit être une solution de dernier recours et, avant de s’y résigner, il faut en discuter avec l’enfant et ses parents. En faire la prérogative de la direction de l’école me semble une pente glissante.

Après tout, transformer sa boîte à lunch en château, c’est pas mal plus drôle quand on est plusieurs à jouer…

Rédaction : août 2019

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{ 4 commentaires }

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Sonia Boulianne August 16, 2019 at 13 h 36 min

Bravo pour cet article qui est à mon avis très juste! Pourquoi isoler des enfants ayant des allergies?

Ma fille Myriam a été en sécurité pendant toutes ses années au primaire et au secondaire.

Pour tous les responsables qui ont cette décision à prendre, il ne faut surtout pas isoler ces enfants! Encourageons la sensibilisation et n’ayons pas peur d’en parler.

Pierre Bettez August 16, 2019 at 13 h 43 min

Je trouve cet article très juste autant par le propos que par le ton. Pour avoir été un témoin privilégié de ton enfance, je sais ce que tu as vécu et ce texte en est un reflet authentique. Il y a une réflexion à faire pour tout le monde qui est préoccupé et ou concerné par les allergies alimentaires, et je pense,Christophe, que ton texte est très pertinent pour éclairer le débat.

Ton grand- papa Pierre

Annie MB August 17, 2019 at 9 h 26 min

Mes enfants font partie du DSFS et partagent la même opinion… maintenant leurs amis.es seront exclus et mis en évidence parce qu’ils ont une condition médicale qui dérange la population en général et qu’ils doivent être à l’écart pour faire parti de l’école… c’est triste, c’est reculé dans le temps à une époque où on parle d’inclusion, on fait le contraire ici et on exclus… et je pense que le gros hic ici, c’est que si vous vivez sans allergies, vous ne pouvez pas comprendre comment on se sent déjà à l’écart et exclus…

LUCILLE THÉROUX August 17, 2019 at 14 h 48 min

Texte très bien écrit et sujet très pertinent; je partage la même opinion, car isoler les enfants allergiques ne règle pas le problème et, à mon avis, ne donne pas plus de sécurité. Mon petit-fils a des allergies et a toujours fréquenté tout le monde à l’école, avec son Épipen au cas où ! S’il fallait se mettre à isoler les gens pour les regrouper selon certains critères, sous prétexte de les protéger, la vie adulte angoisserait probablement plusieurs jeunes et handicaperait leur avenir et rendrait les autres plus intolérants envers la différence. BRAVO CHRISTOPHE !

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