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L’immunothérapie orale est-elle risquée?

by Marie-Josée Bettez

Par Marie-Josée Bettez

Avez-vous vu passer cela sur votre fil de nouvelles?

Une nouvelle étude portant sur l’immunothérapie orale suscite pas mal d’inquiétude.

L’étude en question a été publiée le 25 avril 2019 dans la revue scientifique The Lancet. Ses auteurs en arrivent à la conclusion que, pour les personnes allergiques à l’arachide, l’immunothérapie orale augmente de façon considérable le nombre de réactions allergiques et anaphylactiques, même si elle induit une désensibilisation. Les chercheurs sont d’avis qu’il faut recourir à une approche plus sécuritaire pour désensibiliser ces patients.

Ces conclusions ont immédiatement été reprises par les médias traditionnels. Dans un article publié sur le site de la CBC (No, eating small amounts of peanuts will not cure an allergy, review suggests), on évoque même le risque de décès lors du traitement (il n’y en a eu aucun jusqu’à présent).

Dangereuse, l’immunothérapie orale? La prise des doses entraîne un risque de réaction, cela est indéniable.

Le jeu en vaut-il quand même la chandelle? J’ai demandé à Dr Philippe Bégin, allergologue-immunologue et instigateur du projet de la Clinique d’immunothérapie orale au CHU Sainte-Justine, ses commentaires. Voici ce qu’il m’a transmis :

Cette étude avait été présentée au dernier congrès de l’American Academy of Allergy and Clinical Immunology (AAAAI) où elle a reçu un accueil mitigé de la part de la communauté des allergologues pour différentes raisons.

D’abord, il faut comprendre qu’il ne s’agit pas de nouvelles données mais bien d’une méta-analyse, qui consiste à combiner ensemble plusieurs études pour en tirer une conclusion. Une méta-analyse presque identique avait déjà été publiée en 2017 et rapportait les mêmes résultats, soit qu’on a plus de chances de réagir si on fait une immunothérapie que si on évite l’allergène. C’est quelque chose de bien connu et d’ailleurs les patients sont avisés en débutant un traitement qu’il y a plus de chances d’avoir une réaction en prenant la dose que d’avoir une réaction accidentelle si on poursuit l’évitement (environ 5 % des patients doivent recevoir l’Epipen pendant le traitement). La différence principale entre les articles est le ton employé par les auteurs qui est plus négatif dans ce dernier article.

Comment deux articles disant la même chose peuvent-ils conclure différemment? En fait, c’est une question de définition de la question de recherche. Dans le premier article, le sujet principal d’étude est le taux de succès de la désensibilisation (capacité d’induire une protection tel que mesurée par un challenge) et favorisait l’immunothérapie par rapport à l’évitement. Les réactions aux doses sont analysées dans un second temps et sont traitées comme un effet secondaire du traitement. Il n’y a donc rien de surprenant à la conclusion selon laquelle on a plus d’effets secondaires sous traitement. Dans le nouvel article, le sujet d’étude est la survenue de toute réaction allergique incluant aux doses elles-mêmes, ce qui donne donc une perspective bien différente, suggérant que l’immunothérapie empire la condition du patient.

D’un point de vue méthodologique, il y a deux problèmes avec cette dernière approche. D’abord, en reprenant une étude déjà faite, de laquelle les conclusions sont déjà connues, on se trouve à sélectionner la sous-question de notre choix pour l’ériger en question principale d’étude. Bref on choisit la conclusion avant même d’avoir réalisé l’étude. Au lieu de dire « l’immunothérapie fonctionne mais il y a des effets secondaires », on dit « l’immunothérapie a des effets secondaires, malgré qu’elle fonctionne. »

Deuxièmement, la justification donnée pour ce faire est que ce critère de recherche (toutes réactions confondues) aurait une plus grande pertinence pour les patients. Or cette affirmation est arbitraire et très discutable. Les patients nous disent clairement qu’une réaction à la dose, dans un contexte où elle est attendue dans un environnement contrôlé, n’est en rien similaire au risque de réaction aléatoire pouvant survenir sans avertissement à tout moment de la journée. Le bénéfice principal de l’immunothérapie orale se mesure principalement par la paix d’esprit qu’elle offre en dehors de la prise de dose (22h par jour). Ce bénéfice n’est pas capturé par les essais cliniques même si des questionnaires sont faits parce que le patient est généralement potentiellement sous placebo donc il ne peut pas baisser sa garde, donc bénéficier du traitement.

Au total, outre les questions de perspectives/messages qui peuvent différer d’un auteur à l’autre pour toutes sortes de raisons scientifiques personnelles, professionnelles ou commerciales, le message final à retenir est que l’immunothérapie orale s’accompagne d’un risque de réaction à la prise de la dose, surtout en présence de co-facteurs (exercice, virus, pollens…) et donc qu’il faut que ce soit fait de façon sérieuse avec le support de cliniciens expérimentés. Il faut faire très attention avant d’extrapoler un tel risque à son enfant ou à soit même puisque tous les patients répondent différemment et que la clé du succès d’une bonne désensibilisation réside dans la personnalisation du traitement pour chaque patient.

Il n’est pas rare que les articles issus de débats entre spécialistes sèment la confusion auprès des patients et des cliniciens. Cela dit, sur une note positive, j’ajouterais que la Société Canadienne d’Allergie et d’Immunologie est en processus de rédaction de lignes directrices sur l’immunothérapie orale au pays, en partenariat avec l’Institut National d’Excellence en Santé et Service Sociaux (INESSS), lesquels seront basées non seulement sur les données d’études publiées mais également sur des données cliniques « real-life » et intégrera la perspective des patients et acteurs du terrain via des consultations populaires pour établir des conclusions basées sur le principe de responsabilité pour la raisonnabilité. On devrait alors avoir un message beaucoup plus clair pour l’ensemble de la communauté des allergies alimentaires.

J’espère que le tout amène un peu plus de lumière sur la question.

Dr Philippe Bégin, allergologue-immunologue

Pour en savoir plus : L’immunothérapie orale aux aliments

À votre tour de vous exprimer!

Envisagez-vous, pour vous ou un de vos proches, un traitement de désensibilisation? Avez-vous des inquiétudes face à l’immunothérapie orale? L’étude mentionnée dans ce texte vous ébranle-t-elle?

Marie-Josée BettezRédactrice en chef du site dejouerlesallergies.com depuis 2003, Marie-Josée Bettez a publié trois livres, dont le best-seller Déjouer les allergies alimentaires. Elle donne régulièrement des conférences sur la gestion des allergies alimentaires à la maison et en milieu de garde. En savoir plus >>.

Rédaction : avril 2019

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